cavalier législatif pour la réforme des procédures devant les juridictions administratives

Le gouvernement a décidé de passer en force, par un cavalier législatif, sur la réforme des procédures devant les juridictions administratives, en présentant un amendement dans le cadre de l’examen, à l’Assemblée nationale, du projet de loi sur la mobilité et les parcours professionnels dans la fonction publique.

Voici le lien : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r1766.asp , amendement CL 89 …a pour objet de permettre au Gouvernement de modifier par voie d’ordonnance les règles relatives, d’une part, au statut des membres du Conseil d’État, des tribunaux administratifs, des cours administratives d’appel, et, d’autre part, au fonctionnement de la justice administrative

L’USMA note avec quelle habileté la question du rapporteur public a été reléguée en toute fin de texte !

Nous rappelons ci-dessous (en annexe) à quel point tant des membres du Conseil d’Etat que … le gouvernement français et le législateur lui-même ( !) ont estimé que le rapporteur public était « une garantie essentielle », « à ranger au rang des principes de valeur législative les plus éminents » ou encore appartenait « aux meilleures traditions du droit français » !

L’amendement CL 89, présenté par le gouvernement avec l’aval de la commission des lois, vise pourtant à permettre au gouvernement de réduire plus que sensiblement son rôle, au détriment des garanties apportées aux justiciables, avant sans doute que l’institution ne disparaisse complètement.

L’USMA note avec quelle habileté la question du rejet par ordonnance des requêtes concernant le contentieux des étrangers a été traitée !

En effet, il est écrit dans le corps de l’amendement que [le gouvernement ] pourra compléter la liste des membres du Conseil d’État habilités à régler certains litiges par ordonnance.

Or les textes, qui sont déjà rédigés et ont été présentés aux syndicats lors du conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel du 17 février dernier, prévoient que les présidents de Cour d’appel, qui sont membres du Conseil d’Etat, seront autorisés à rejeter par ordonnance les requêtes relatives au refus de séjour assortis d’une obligation de quitter le territoire !

Compte tenu du contenu de l’habilitation, l’amendement CL 89 est un cavalier !

On pourrait admettre que les dispositions statutaires se rattachent, pour certaines d’entre elles, à l’objet du projet de loi (mobilité). En aucun cas ce raisonnement ne peut être tenu en ce qui concerne les procédures juridictionnelles.

A l’heure où le Président de la République intervient devant le Congrès, nous nous opposons à cette proposition, présentée, elle, en séance tout à fait ordinaire, à l’Assemblée nationale.

Compte tenu du nouveau calendrier parlementaire ce n’est plus un cavalier … c’est une chevauchée !

En effet, initialement, l’ordre du jour de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale qui s’ouvre le 2 juillet ne prévoyait l’examen du projet de loi sur la mobilité et les parcours professionnels dans la fonction publique qu’en milieu de session.

Ce projet tient aujourd’hui la corde puisqu’il sera examiné … dès l’ouverture de la session :

Fonction publique : mobilité et parcours professionnels Travaux préparatoires Assemblée nationale 1ère lecture

Discussion en séance publique 1ère séance du jeudi 2 juillet 2009

2e séance du jeudi 2 juillet 2009

3e séance du jeudi 2 juillet 2009

1ère séance du vendredi 3 juillet 2009

2e séance du vendredi 3 juillet 2009

3e séance du vendredi 3 juillet 2009

2e séance du mardi 7 juillet 2009

L’USMA a écrit à l’ensemble des parlementaires afin que l’examen du projet de loi et de l’amendement incriminé ne fassent pas l’économie d’un débat sur des principes aussi essentiels que :

- l’intervention du rapporteur public dès lors qu’il est prévu de la supprimer dans certaines matières comme le contentieux des étrangers et les permis à points.
- la collégialité puisqu’il est envisagé d’ étendre la possibilité de rejeter une requête par ordonnance, en matière d’étrangers une fois encore.

ANNEXE

Le rapporteur public (nouvelle appellation du « commissaire du gouvernement ») est un membre de la juridiction qui expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présente à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent.

C’est donc un magistrat indépendant de la formation de jugement qui examine chaque dossier.

Son rôle est déterminant, en interne, dans le processus d’élaboration des décisions juridictionnelles.

D’autre part, en proposant une solution personnelle qu’il expose aux parties à l’audience lors du prononcé de ses conclusions, il constitue l’une des garanties essentielles, pour le justiciable, que son dossier sera examiné sous toutes les coutures.

Des membres éminents du Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative française, ont déjà eu l’occasion d’affirmer le caractère essentiel de l’intervention du rapporteur public.

Ainsi dans une affaire « Vogel et Jarry » (CE 30 avril 1997, n° 181 658) le … commissaire du gouvernement ( !), dans ses conclusions, soulignait que l’intervention du « [rapporteur public] constituait une garantie essentielle donnée aux requérants dans la procédure juridictionnelle  ». La formation de jugement en a été tellement convaincue qu’elle n’a pas hésité à affirmer que l’intervention du rapporteur public pouvait sans difficultés être étendue à des procédures autres que juridictionnelles (même arrêt).

Dans une chronique parue à l’AJDA, un commentateur de la refonte du code de justice administrative a estimé remarquable que le livre préliminaire du code de justice administrative (article L.1 à L.11) rassemble «  les dispositions de valeur législative qui posent les principes les plus éminents applicables aux juridictions administratives  ». Et l’auteur de souligner que parmi celles-ci figure «  le rôle du commissaire du gouvernement  » (AJDA 2000, Chroniques p 639).

Le gouvernement français avait lui aussi, jusqu’à présent, adopté la même attitude !

C’est notamment ce qu’il a affirmé dans les mémoires en défense adressés à la Cour européenne des Droits de l’Homme à l’occasion de la célèbre affaire « Kress ». Ainsi, on lit au paragraphe 62 de l’arrêt, reprenant les arguments du gouvernement français, cette affirmation : «  le commissaire du gouvernement appartient aux meilleures traditions du droit français, son rôle dans le procès administratif a fait l’objet d’innombrables études plus élogieuses les unes que les autres. Il a forcé le respect et l’admiration de générations de juristes français et étrangers  »( Kress c/ France requête n° 39594/98).

Que dire de plus si ce n’est que l’USMA partage ces opinions et qu’une telle institution, une telle garantie – essentielle, redisons-le – , mérite un minimum de réflexion et de considération.

Et pourtant !

Un cavalier législatif propose d’habiliter le gouvernement à réduire le champ d’intervention de ce magistrat.