Compétence du vice-président du Conseil d’État pour établir la charte de déontologie de la juridiction administrative, n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 20 juillet 2017 par le Conseil d’État (décision n° 411070 du 19 juillet 2017), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Jean-Marc L. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-666 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 131-4 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. 

Au vu des textes suivants : 
– la Constitution ; 
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; 
– le code de justice administrative ; 
– la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires ; 
– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ; 
Au vu des pièces suivantes : 
– les observations présentées par le requérant, enregistrées le 4 août 2017 ; 
– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 août 2017 ; 
– les pièces produites et jointes au dossier ; 
Après avoir entendu Me Yannick Sala, avocat au barreau de Paris, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 10 octobre 2017 ; 
Et après avoir entendu le rapporteur ; 
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT : 

1. L’article L. 131-4 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de la loi du 20 avril 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le vice-président du Conseil d’État établit, après avis du collège de déontologie de la juridiction administrative, une charte de déontologie énonçant les principes déontologiques et les bonnes pratiques propres à l’exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative ». 

2. Le requérant reproche aux dispositions contestées de confier au vice-président du Conseil d’État la compétence pour établir la charte de déontologie de la juridiction administrative. Il fait valoir que celui-ci préside la juridiction susceptible d’être appelée à statuer sur la légalité de cette charte et qu’il participe à la désignation de plusieurs membres du collège de déontologie chargé de formuler un avis sur celle-ci. En outre, selon le requérant, compte tenu de ses prérogatives à l’égard des membres du Conseil d’État, le vice-président serait susceptible d’exercer une influence sur les membres de la formation de jugement. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’impartialité des juridictions et du droit à un recours juridictionnel effectif. 

3. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles. 

4. En application de l’article L. 131-4 du code de justice administrative, le vice-président du Conseil d’État établit, après avis du collège de déontologie de la juridiction administrative, une charte de déontologie qui énonce les principes déontologiques et les bonnes pratiques propres à l’exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative. En application de l’article L. 131-5 du même code, le collège de déontologie est notamment composé d’un membre du Conseil d’État et d’un magistrat des tribunaux et cours administratives d’appel. 

5. Or, cette charte de déontologie est susceptible d’être contestée ou invoquée à l’occasion d’un contentieux porté devant une formation de jugement présidée par le vice-président du Conseil d’État ou comprenant l’un des membres du collège de déontologie membre de la juridiction administrative. 

6. Toutefois, d’une part, l’article L. 131-3 du code de justice administrative prévoit : « Les membres du Conseil d’État veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d’intérêts. – Constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». L’article L. 131-9 du même code prévoit : « Dans le cadre des fonctions juridictionnelles du Conseil d’État, sans préjudice des autres dispositions prévues au présent code en matière d’abstention, le membre du Conseil d’État qui estime se trouver dans une situation de conflit d’intérêts s’abstient de participer au jugement de l’affaire concernée… – Le président de la formation de jugement peut également, à son initiative, inviter à ne pas siéger un membre du Conseil d’État dont il estime, pour des raisons qu’il lui communique, qu’il se trouve dans une situation de conflit d’intérêts. Si le membre du Conseil d’État concerné n’acquiesce pas à cette invitation, la formation de jugement se prononce, sans sa participation ». Les articles L. 231-4 et L. 231-4-3 du même code prévoient des dispositions identiques pour les magistrats des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel. Il résulte de ces dispositions que le vice-président du Conseil d’État et les membres du collège de déontologie membres de la juridiction administrative ne participent pas au jugement d’une affaire mettant en cause la charte de déontologie ou portant sur sa mise en œuvre. 

7. D’autre part, quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d’État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du code de justice administrative assurent leur indépendance à son égard. 

8. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d’impartialité. 

9. L’article L. 131-4 du code de justice administrative qui ne méconnaît pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution. 


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE : 

Article 1er. – L’article L. 131-4 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, est conforme à la Constitution. 

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. 

 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS et Nicole MAESTRACCI. 


Rendu public le 20 octobre 2017.