Rencontre avec le Président de la Section du contentieux (4 février 2019)

Très chers collègues,

Nous vous l’avons indiqué dans notre courriel de vœux, l’USMA poursuit son effort pour favoriser une relation avec le Conseil d’Etat qui ne soit pas seulement celle qui existe avec un gestionnaire, mais aussi une relation entre juges, soucieux de l’avenir de notre juridiction. 

Une délégation de l’USMA (Ophélie Thielen, Viviane André et Ivan Pertuy) a ainsi rencontré M. Combrexelle, président de la section du contentieux, le 4 février.

Nous le remercions, à titre liminaire, de nous avoir accueillis, d’être attentif à nos messages syndicaux et d’accepter de mener avec nous un dialogue régulier et fructueux.

La mobilité, connaissance de l’administration…et de la cassation ?

Nous avons tout d’abord souhaité faire part à M. Combrexelle de notre satisfaction de voir l’amendement, proposé par le Conseil d’Etat, de facilitation de la mobilité dans les collectivités territoriale (article 22 bis http://www.assemblee-nationale.fr/15/ta/ta0216.asp), adopté ce 23 janvier par l’Assemblée nationale, avant deuxième lecture au Sénat (1èreséance prévue pour le 12 février).

Nous avons néanmoins relayé les inquiétudesde certains d’entre vous sur deux points :

– d’une part, le risque de voir certains collègues revenir de mobilité « colorés politiquement », courant le risque de voir cette coloration perdurer à leur retour en juridiction ;

– d’autre part, la crainte de voir la mobilité supprimée en cour administrative d’appel, alors même que le gain en nombre de postes ouverts en région par l’amendement mobilité ne compenserait pas une telle suppression.

Nous avons ainsi rappelé qu’il n’était pas envisageable que la suppression de la mobilité en Cour soit mise en œuvre sansque soit, d’une part, préalablementmise en place, au sein du Conseil d’Etat, une structure capable d’accompagner les magistrats dans leur recherche d’une mobilité et sans que ce dispositif ait, d’autre part, porté ses fruits. 

Le nombre de postes offerts dans les chambres régionales des comptes diminue, la mobilité dans le judiciaire demeure peu attractive financièrement et complexe en termes de procédure (18 mois entre la demande et le détachement, un stage de six mois dans un ressort distinct de celui de l’affectation) et les réseaux de recrutement des collectivités territoriales et des administrations déconcentrées sont bien peu connus des magistrats.

Nous avons enfin évoqué l’accueil en détachement des magistrats administratifs au sein de la section du contentieux, non pour en faire un tremplin pour de futurs maîtres des requêtes, mais pour permettre aux magistrats de connaître de la cassation, enrichissant ainsi tant leur parcours que leur juridiction, et permettant ainsi un décloisonnement que nous appelons de nos vœux.

  1. M. le président de la section du contentieux, conscient de ce que la mobilité pouvait représenter une réelle difficulté pour nos collègues en région, a convenu de ce qu’un effort devait être entrepris pour accompagner les magistrats administratifs dans cette démarche. Il a souligné que cet effort devait à la fois nécessiter une mobilisation du Conseil d’Etat et de ses membres au niveau national et conduire à des relations plus fréquentes entre les chefs de juridiction et les représentants des administrations locales, qu’elles soient déconcentrées ou décentralisées. Car c’est parce que ces administrations auront concrètement connaissance de ce vivier de hauts-fonctionnaires compétents et disponibles localement que la mobilité sera facilitée. M. le président de la section du contentieux plaide donc pour une présence accrue des chefs de juridiction et de leurs magistrats dans la vie administrative locale, l’indépendance n’étant pas moins garantie par la connaissance que l’on peut avoir des administrateurs et de leurs administrations.

Ramener le goût du collectif au sein de la juridiction

Le champ d’intervention du juge statuant seul a été tellement étendu ces dernières années que, désormais, seules 34% des décisions sont rendues dans un cadre collégial.

Peu à peu, par son extension, l’activité du juge statuant seul prend le pas sur la tradition collégiale, atteint le sens du métier, transformant la pratique juridictionnelle en un exercice solitaire à visée statistique. 

Et cet exercice solitaire à visée statistique est souvent mis en œuvre, VPN aidant[1], par le magistrat depuis son domicile, parce qu’il n’y est pas dérangé et se ressent plus efficace, notamment pour les dossiers de collégiale. Et il y a peu de la solitude à l’isolement.

Lors d’une réunion de dialogue social tenue à la fin de l’année 2017, le secrétariat général du Conseil d’Etat nous avait indiqué qu’une revalorisation des rémunérations ne pouvait être envisagée, à la demande de l’exécutif, que par une augmentation de la part modulable des primes. Ce dispositif placerait les magistrats individuellement en concurrence les uns avec les autres, prétendant là trouver une solution innovante d’accroissement de la productivité. 

Nous ne sommes pas une chaîne de production, nous sommes une juridiction.C’est une solution en sens inverse de ces évolutions que nous voulons promouvoir. Non pas contraire à la productivité, il faut bien que nous jugions dans des délais acceptables pour les justiciables,mais ramenant le goût de la confrontation constructive des points de vue au cœur de notre activité, car il faut aussi que nous jugions bien.

L’USMA se bat pour que la juridiction conserve son unité, d’abord pour qu’une solidaritéplus grande soit organisée au sein des chambres dans le cadre d’une détermination partagée et collective des objectifs, incluant le rapporteur public et les greffes, pour qu’une solidarité entre chambressoit ensuite mise en place et permette un rééquilibrage des stocks lorsque cela est utile au justiciable et à la juridiction, pour qu’une solidarité entre juridictionspermette encore une réallocation des moyens en fonction des défis auxquels elles sont confrontées et, enfin, pour qu’une solidarité entre les tribunaux, les cours et le Conseil d’Etatse fasse jour, car nous sommes magistrats, dans nos têtes si ce n’est dans la loi, de la première instance à la cassation.

Nous souhaitons donc l’arrêt de l’extension du champ du juge statuant seul. Nous souhaitons que les primes portent l’action collective et cessent de créer une concurrence individuelle dépourvue de sens entre personnes qui assurent mieux à plusieurs la mission de justice qu’ils rendent au nom du peuple français. Nous souhaitons que l’animation du collectif juridictionnel soit une composante essentielle des évolutions de la juridiction administrative.

  1. M. le président de la section du contentieux a indiqué que le métier de magistrat ne doit en effet pas dériver vers un travail individuel à domicile et a besoin d’être exercé au sein d’une communauté de travail juridictionnel. 

La solitude du magistrat statuant seul doit être compensée, comme il est de tradition dans la juridiction administrative, par les « délibérés de couloir » et par l’organisation, au sein des chambres et des juridictions, de discussion sur les solutions divergentes dans les contentieux pris en charge en commun. 

La juridiction administrative doit en effet promouvoir une réflexion collective, favoriser les rencontres entre juges, au sein des juridictions d’abord, nationalement ensuite, par la formation, les colloques, et par d’autres dispositifs à inventer.

Garantir l’indépendance dans la Constitution

L’indépendance des juridictions administratives est garantie par plusieurs décisions du Conseil constitutionnel et par deux siècles d’exercice juridictionnel. Nous ne sommes évidemment pas sourds à ces arguments, qui nous avaient notamment été présentés par M. le Vice-président du Conseil d’Etat lors d’une rencontre au mois de juin 2018.

Pour autant, un peu de droit comparé dans notre vieille Europe nous semble permettre de mettre en évidence la différence qu’il y a à voir garantir son indépendance par une Cour constitutionnelle ou par la Constitution[2]. Ce qui, aujourd’hui, préserve encore l’indépendance des juges polonais, ce n’est ni la tradition (qui n’est pas bicentenaire, certes), ni la Cour constitutionnelle, opportunément recomposée, mais la mention dans la Constitution de la durée du mandat de la présidente de la Cour suprême, qui la rend inamovible et en capacité de garantir l’indépendance des juridictions.

En France, recomposer le Conseil Constitutionnel n’est certes pas une possibilité instantanément offerte à un pouvoir nouvellement élu, mais, la difficulté à voir adopter des révisions constitutionnelles en témoigne depuis plusieurs années, il est beaucoup plus difficile de prétendre à une modification de la Constitution.

L’USMA, aux côtés d’ailleurs du SJA sur cette question, continue donc à plaider pour une reconnaissance constitutionnelle de notre indépendance inscrite dans le texte même de la Constitution.

  1. M. le président de la section du contentieux souligne que tant l’existence que la spécificité de la juridiction administrative sont reconnues dans la Constitution telle qu’elle est interprétée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Une réforme constitutionnelle explicite sur ce point n’est pas en conséquence nécessaire ni même opportune. 

[1]Ou difficultés immobilières aidant : à Toulon, certains magistrats ont désormais des « bureaux tournants », partagés entre les magistrats selon des plages horaires…

[2]Voir p. 3 et 4 du rapport des élus du syndicat de la magistrature, délivré lors de leur congrès et issu des travaux de l’association des magistrats européens pour la démocratie et les libertés http://www.syndicat-magistrature.org/IMG/pdf/rapport_medel_2017_def.pdf