USMag’#19 – mai 2021 : Magistrats de carrière et non juges intermittents!

Édito par Anne Triolet,  secrétaire générale adjointe de l’USMA

Chères et chers collègues,

Nous ne devrions pas être concernés par une réforme de la haute fonction publique. 

Nous jugeons, nous devrions être dotés d’un statut constitutionnel de magistrats avec des garanties propres, dont un conseil de justice, ainsi que des attributs symboliques de la fonction. 

On nous dit que ce statut de haut fonctionnaire est à notre bénéfice mais nous peinons de plus en plus à en recenser les avantages alors que les inconvénients deviennent très perceptibles.

Le Vice-Président a rappelé à la commission d’enquête parlementaire sur les obstacles à l’indépendance de la justice que la juridiction administrative était née de la volonté, en 1790, de séparer les pouvoirs. La fonction de juger ne devait pas interférer avec la fonction d’administrer. Ironie de l’histoire, c’est la fonction d’administrer que l’on entend imposer toujours plus aux juges. Nous restons viscéralement attachés à notre spécificité de juge de l’administration mais nous sommes magistrats de carrière et non juges à l’occasion. 

Le Conseil d’Etat ne veut pas, pour lui-même, de la qualité de magistrat et il s’efforce, en tant que gestionnaire du corps et contre l’évidence, de nous dénier cette qualité. Face au recul qui nous est ainsi imposé, l’USMA a choisi de faire un point complet, en plusieurs épisodes à suivre, sur l’étrange situation juridique du corps et la raison d’être de notre syndicat. La fin de ce feuilleton, nous espérons que vous nous aiderez à l’écrire pour qu’elle soit meilleure que ce que l’on nous annonce.

Dans cet USMag’, les trois premiers épisodes :  

1. Le mystère du statut sans tête

2. Le songe du justicier intermittent

3. La robe dérobée, le serment trahi mais sauvé

Épisode 1 : Le mystère du statut sans tête

La CEDH a ainsi résumé la situation des magistrats administratifs dans sa décision Kress c. France n° 39594 du 7 juin 2011 : « Les magistrats de l’ordre administratif bénéficient d’un statut particulier, distinct de celui des magistrats judiciaires du siège comme du parquet. Ils relèvent du statut général de la fonction publique ; toutefois, ils disposent en pratique de l’indépendance et de l’inamovibilité. En 1980, une décision du Conseil constitutionnel consacra l’existence et l’indépendance de la juridiction administrative, qui figurent parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ayant rang constitutionnel ».

Bien qu’en 2012, le législateur ait introduit dans le code de justice administrative l’expression « magistrats des TA et des CAA » et reconnu le caractère supplétif des dispositions statutaires de la fonction publique de l’Etat par rapport aux dispositions législatives contenues dans le code de justice administrative (L. 231-1 et s. du CJA), nous ne sommes pas des magistrats mais des fonctionnaires au sens de la Constitution.

Par un arrêt du 21 février 2014, n° 359716, le Conseil d’État a jugé que « les membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ne sont pas des magistrats au sens de l’article 64 de la Constitution, dont le statut est régi par une loi organique, mais des fonctionnaires de l’État, pour lesquels l’article 34 de la Constitution ne réserve au législateur que la définition des garanties fondamentales ».

Cette situation isole la France au sein du Conseil de l’Europe, y compris parmi les États dont le système juridictionnel est caractérisé par une dualité des ordres. 

Ainsi, en octobre 2012, Terry Olson faisait le constat, dans les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel n° 37, que dans la majeure partie des États dotés d’un Conseil d’État ou d’une cour administrative suprême, l’existence de cette institution était consacrée par le texte même de la Constitution. Tel est ainsi le cas des Pays-Bas, de l’Allemagne, de la Suède, de la Pologne, de la République tchèque, de la Grèce, ou de la Turquie.

La recommandation n°2010/12 du conseil des ministres des Etats membres du Conseil de l’Europe concernant l’indépendance, l’efficacité et la responsabilité des juges prévoit en son point 7 que : « L’indépendance du juge et celle de la justice devraient être consacrées dans la Constitution ou au niveau juridique le plus élevé possible dans les Etats membres, et faire l’objet de dispositions plus spécifiques au niveau législatif ».

L’USMA a soutenu le dépôt en février 2018 d’une proposition de loi constitutionnelle n°643 que vous retrouverez en annexe 2 de notre Livre Blanc.

Cette consécration constitutionnelle aurait permis également que notre statut soit protégé par une loi organique, à l’abri de modifications par simple voie d’ordonnance comme ce qui se passe actuellement.

Épisode 2: le songe du justicier intermittent

Cette absence de garanties constitutionnelles pousse à l’imagination. La mission Thiriez a ainsi examiné, en annexe 6 de son rapport, la possibilité de « nommer des cadres supérieurs de l’administration pour exercer pour une durée limitée des fonctions de contrôle ou juridictionnelles ».

Las, il identifie quelques obstacles constitutionnels : la jurisprudence du Conseil Constitutionnel pose le principe d’une magistrature carrière pour les juges judiciaires (CC, n° 94- 355 DC, 10 janvier 1995 ; CC, n° 2011-635 DC, 4 août 2011) et il applique ce même principe aux magistrats de l’ordre administratif (n°2019-778 DC du 21 mars 2019).

Ainsi, le Conseil constitutionnel ose même douter que l’on puisse s’improviser juge : « l’exercice antérieur de fonctions impliquant des responsabilités (…) dans le domaine administratif, économique ou social ne révèle pas par lui-même, quelles que soient les qualités professionnelles antérieures des intéressés, leur aptitude à rendre la justice » (CC, n° 2003-466 DC, 20 février 2003). Ou encore « les fonctions de magistrat de l’ordre administratif doivent en principe être exercées par des personnes qui entendent y consacrer leur vie professionnelle. » (CC, n° 2019-778 DC, 21 mars 2019).

Et le rapport de conclure qu’au vu de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et des engagements internationaux de la France (nous y reviendrons dans un futur épisode) : « Il n’est donc possible ni de faire exercer ces missions par des personnes n’ayant pas le statut de magistrat de carrière ni de mettre en place un processus conduisant le pouvoir exécutif à renommer les membres de ces juridictions à plusieurs étapes de leur carrière. Sans appartenance à un corps juridictionnel et en l’absence de garanties d’inamovibilité ces nominations seraient regardées comme étant soumises à la seule appréciation du pouvoir exécutif ».

Le rapport indique : « Il est en revanche possible de prévoir des règles statutaires faisant obligation aux membres des corps concernés d’exercer, à différents stades de la carrière, des fonctions opérationnelles dans l’administration. Dans le cadre de corps juridictionnels de carrière, il est possible de mettre en place des mesures radicalement nouvelles qui n’existent pas actuellement dans les statuts pour assurer une diversité des parcours et des mobilités fonctionnelles ou géographiques, tout en respectant le cadre constitutionnel ».

Selon cette analyse, il suffit de poser le principe pour pouvoir le contourner. A partir du moment où l’on est magistrat de carrière inamovible, on peut se voir imposer la mobilité pour avoir une carrière… et une mobilité chez notre justiciable qui plus est.

L’USMA a immédiatement réagi et alerté le gestionnaire et le pouvoir exécutif des dangers de la réforme actuelle (deux exemples ici et ). Le CSTA du 12 mai nous permettra de réaffirmer notre attachement à notre métier de juge et les risques pesant sur notre indépendance.

Épisode 3: la robe dérobée, le serment trahi mais sauvé

Nos demandes relatives aux attributs de la fonction de juger ne sont que la traduction sur le terrain symbolique de nos revendications fondamentales. S’il n’était question que de costume, nous le porterions depuis bien longtemps.

Saisi par l’USMA en 2020 de la question du port de la robe et de la prestation de serment pour les deux corps, le Vice-Président, président du CSTA, a choisi de ne poser la question du port de la robe que pour les seuls magistrats des TACAA et celle du serment pour les deux corps.

Soutenue par les deux tiers des magistrats, nos demandes ont buté sur le refus du gestionnaire, qui s’abstient d’ailleurs de consulter les membres du CE, mais également sur les ambiguïtés du syndicat historique et majoritaire qui dit les souhaiter mais ne vote jamais pour.

Le procès-verbal dont nous avons demandé la communication, disponible sur l’intranet du CE, vous permettra de lire la contribution intéressante de chaque membre du CSTA qui a conduit à un débat de qualité.

La prestation de serment pour les deux corps n’a été arrachée que par trois voix pour : une personnalité qualifiée et les deux élus USMA. Si le port de la robe a été écarté (6 voix contre, 3 voix pour et 4 abstentions), le fait d’accroitre les mobilités repose sérieusement la question de la nécessité de revêtir cet habit lorsque nous sommes en juridiction. 

Ce débat, lancé et porté par l’USMA, a toutefois abouti à la mise en place d’un groupe de travail relatif à la solennisation de l’exercice des fonctions juridictionnelles. L’USMA y participera activement.

AGENDA

  • 10 mai : présentation du plan égalité professionnelle
  • 11 mai : CSTA
  • 12 mai : visio des délégués
  • 21 mai : dialogue social trimestriel ayant pour thème principal les activités accessoires / institutionnelles des magistrats administratif.