USMag’ #20 – juin 2021 : l’étrange situation juridique de notre corps (suite)

Édito par Sophie Edert, secrétaire générale

Chères et chers collègues,

Nous poursuivons dans ce numéro notre réflexion sur les garanties d’indépendance des juges. Au-delà de l’indépendance quotidienne dont nous faisons montre dans nos décisions, nous soupesons notre organisation judiciaire à l’aune des standards européens afin d’envisager autrement les débats du moment.

Contre le retour du juge-administrateur, nous avons été près de 25 % à faire grève et encore plus à nous mobiliser.

Cela montre notre attachement à la magistrature de carrière. De nombreux collègues font leur mobilité dans des conditions enrichissantes. Mais il a été décidé que pour juger de l’administration, il fallait forcément la servir ! Or nous la connaissons déjà, compte tenu des profils très divers que nous présentons et auxquels nous tenons. Et nous restons persuadés que c’est au seul magistrat de décider, car de la diversité de nos profils naît la richesse du corps. Les séances d’instruction où nous confrontons nos avis en sont l’illustration ! Si un parcours type est imposé, alors cette diversité sera menacée.

Cette idée bien réductrice est imposée par un gestionnaire de nos carrières alors que nous devrions disposer d’un organe de gestion, composé de pairs, pour nous garantir une parfaite transparence et une promotion fondée sur les compétences et mérites et non sur la validation d’un parcours.

EN BREF

Harcèlement : des clés pour changer

La nature de notre métier comme la structuration en chambres, ajoutée à une pression statistique croissante, sont malheureusement propices à des dérives graves et particulièrement destructrices. Une réflexion s’amorce.

Pour nous aider, notre collègue Stéphane Wegner, que nous remercions, répond sur notre site de façon précise et claire à trois questions :

–    Comment reconnaître une situation de harcèlement moral ?

–    Comment réagir en cas de harcèlement moral ?

–    Comment prévenir le harcèlement moral? 

Bilan de la grève

Retrouvez sur notre site le bilan de l’appel à la grève contre la réforme de la haute fonction publique et sa couverture presse.

SUITE DES ÉPISODES SUR L’ÉTRANGE SITUATION JURIDIQUE DE NOTRE CORPS

Épisode 4 : La séparation des pouvoirs ne se négocie pas

Dans les suites de notre grève, face à des remises en cause d’un équilibre qui nous paraît fondamental pour tous nos concitoyens, nous espérons que cet épisode s’écrira au-delà de l’USMag, avec l’ensemble de nos collègues magistrats.

Nous vous tiendrons informés.

Épisode 5 : Recommandations pour un bon conseil…supérieur de la magistrature administrative  

Dans son arrêt n° 359716, cité dans l’épisode 1, le CE retient que dès lors que notre indépendance n’est garantie que par l’article 34 de la Constitution relatif aux garanties fondamentales de tous les fonctionnaires, il est naturel que l’on renvoie directement au pouvoir règlementaire pour le surplus notamment « la définition du statut particulier de [notre] corps, y compris la désignation de l’autorité de gestion du corps ». Le CE estime que cette question de l’autorité de gestion du corps ne constitue pas une garantie d’indépendance.

A simple fonctionnaire, garantie de fonctionnaire, fusse-t-il chargé de fonctions juridictionnelles. Nul besoin de garantie d’indépendance. 

Créé par le conseil des ministres des 47 États membres, le conseil consultatif des juges européens a élaboré une Magna Carta des juges, avant que le conseil des ministres n’adopte lui-même la Recommandation n°2010/12.

Les principes posés par ces deux textes prévoient précisément qu’outre l’inscription dans la Constitution déjà évoquée dans le premier épisode, l’autre garantie réside dans un conseil de justice, lui-même établi par la Constitution ou la loi, « indépendant des pouvoirs exécutif et législatif, doté des prérogatives les plus étendues pour toute question relative [au] statut [des magistrats], ainsi qu’à l’organisation, au fonctionnement et à l’image des institutions judiciaires. Le Conseil doit être composé soit exclusivement de juges, soit au moins d’une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs ». 

Gestionnaire de carrière, garant de la formation qui constitue également une garantie d’indépendance, ce conseil est également consulté sur le budget alloué au système judiciaire. Les magistrats sont associés à l’administration des tribunaux (recommandation 41). Enfin, « lorsque les juges estiment que leur indépendance est menacée, ils devraient pouvoir se tourner vers le conseil de la justice ou vers une autre autorité indépendante, ou disposer de voies effectives de recours » (recommandation n°8). 

Où en sommes-nous par rapport à cet idéal d’indépendance ? 

Nous disposons d’un conseil supérieur mais les membres du corps ne sont que six sur les treize votants, soit le représentant des chefs de juridiction et les cinq représentants des deux organisations syndicales. Plus fondamentalement encore, imaginerions-nous que face à une réforme problématique ou à des attaques malvenues contre une décision, notre conseil de justice prenne la plume et défende notre indépendance auprès des autorités concernées ? A défaut, pourquoi ?

Il nous faut réfléchir au contenu de l’indépendance, qui n’est pas une question individuelle. Si nous sommes de fait actuellement indépendants dans nos jugements, cela ne saurait reposer sur des usages mais doit être organisé au plus haut niveau… et toujours questionné. Or, nous ne nous gérons pas mais sommes gérés par les membres d’un corps distinct dont l’indépendance n’est pas celle prévue par les principes précités et qui n’ont, dans leur grande majorité, jamais exercé dans notre corps. 

Épisode 6 : En finir avec les deux corps du juge

Plus encore que la fusion des corps (59%), les 573 magistrats qui se sont exprimés lors de notre sondage demandent à ce que les membres du CE effectuent un passage par les TA et CAA (64%). Nous y voyons le signe fort d’une incompréhension croissante de nos conditions et notre charge de travail ainsi que des effets de sa jurisprudence par notre gestionnaire/juge de cassation.

Or, malgré les déclarations relatives à l’unité de la juridiction, force est de constater que l’étanchéité est maintenue par la réforme négociée pour nous. A ce jour, 61% des membres du CE sont directement issus de l’ENA, 22% du tour extérieur… et 7% des TACAA au grade de maître des requêtes alors même que nous sommes les plus opérationnels pour exercer les fonctions contentieuses.

Les magistrats administratifs peuvent devenir membres du CE à raison d’un à deux par an au grade de maîtres des requêtes (en pratique deux et, dans la future ordonnance, au moins deux grâce à notre demande) et d’un tous les deux ans au grade de conseiller d’Etat. Cela est dérisoire. En outre, malgré des discours encourageants, nous ne pouvons aller en détachement comme maîtres des requêtes en service exceptionnel (MRSE).

Au 31 décembre 2019, le CE accueillait 27 MRSE dont 26 % d’administrateurs civils et 33% de magistrats judiciaires. L’USMA est convaincue que la porosité entre les deux corps doit augmenter. Non en transposant un modèle de carrière inadapté mais par une interpénétration des corps dans la perspective d’une logique fusion.

Le premier président de la Cour des comptes a récemment déclaré « Je pense que le sens de l’histoire est à une grande juridiction [financière] unifiée. Il y a eu longtemps une forme d’aristocratisme de la Cour et une forme de défiance des chambres régionales des comptes vis-à-vis de la cour. C’est fini ! ». Espérons que notre gestionnaire ait la même lucidité.

L’existence de ces deux corps qui ne se connaissent que très partiellement, se comprennent de moins en moins et dont l’un gère l’autre est un verrou historique et non justifié à l’émergence d’une grande juridiction administrative unifiée.

Épilogue possible

La justice administrative forme un unique corps de la première instance à la cassation, se trouve dotée d’un conseil supérieur de la magistrature administrative assurant un niveau satisfaisant d’indépendance à tous et nous jugeons tous en robe. Les magistrats de cassation n’hésitent pas à se syndiquer et à protester (autrement que par avis) lorsqu’une réforme leur impose une « période d’essai » de trois ans au terme de laquelle seule la moitié deviendra maître des requêtes à l’issue d’une sélection respectivement assurée, avant et après l’auditorat par un comité et une commission composés pour moitié de membres désignés par les pouvoirs législatifs et exécutifs. L’image du Conseil d’Etat auprès des justiciables en sort renforcée. Il n’a plus à craindre une sanction de son organisation par une juridiction internationale.

Agenda de l’USMA
3 juin
Dialogue social trimestriel
8 juin
CSTACAA
9 juin
Visite du TA de Strasbourg
11 juin
Assemblée générale de l’USMA
15 juin
CHSCT
16 juin
Audition par le groupe de travail solennité
18 juin
Comité d’action social
23 juin
Réunion de travail avec le CE : promotion au grade de président