La proposition de loi de l’USMA destinée à garantir l’existence constitutionnelle d’un ordre juridictionnel administratif

Proposition de loi relative à la consécration constitutionnelle de l’ordre juridictionnel administratif

Exposé des motifs :

A compter du le 14 novembre 2015, la France a vécu sous le régime de l’état d’urgence, après une série d’attentats commis sur le territoire national. Eu égard au caractère permanent du péril que constitue le phénomène du terrorisme, la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme récemment adoptée a pour double objectif de permettre une sortie maîtrisée de l’état d’urgence et d’introduire dans le droit positif des mesures pérennes visant à permettre de lutter contre le terrorisme. Cette loi ainsi que celle plaçant la France sous l’état d’urgence ont renouvelé l’office du juge administratif en lui attribuant compétence pour se prononcer sur la légalité de la fermeture des lieux de culte ainsi que sur les mesures individuelles de contrôle et de surveillance.

Le juge administratif joue un rôle croissant dans la protection des libertés :

Jusqu’à la fin du XXème siècle, le juge administratif a notamment pour fonction de réguler l’action de l’administration dans l’intérêt public, le recours pour excès de pouvoir constituant l’arme principale mise à la disposition du citoyen pour défendre la légalité. Ce recours est finalement devenu un instrument destiné à préserver les libertés publiques, tout en garantissant le respect et la recherche d’un ordre public. Le juge administratif a ainsi limité l’action de l’administration à l’aune des libertés consacrées par le bloc de constitutionnalité, la loi et les principes généraux du droit dégagés par lui.

Depuis quelques décennies, le législateur a pris conscience de ce rôle en lui attribuant, à travers la loi du 8 février 1995, un pouvoir d’injonction en vue d’assurer l’exécution de la chose jugée, ou encore en lui permettant d’intervenir rapidement par la voie du référé grâce au vote de la loi du 30 juin 2000.

En tant que juge des mesures de police administrative, le juge administratif a forgé depuis les années 1930 une jurisprudence constante et claire permettant d’assurer la conciliation entre libertés et ordre public, office qu’il a rempli avec compétence et impartialité.

Un paradoxal et surmontable déficit d’image :

Il existe cependant un décalage symptomatique entre la confiance apparente des pouvoirs publics dans les garanties d’impartialité qu’offre le juge administratif et la défiance de nature que continue d’alimenter la faiblesse de son statut constitutionnel.

En effet, les pouvoirs et les compétences du juge administratif sont à l’origine de critiques infondées sur ses garanties d’indépendance. Aussi, les magistrats administratifs attendent-ils du Gouvernement la seule réponse qui leur paraît adaptée dans un Etat de droit dont la France constitue en principe l’archétype : une consécration de leur statut dans le corps de notre Constitution, laquelle ne reconnaît que le Conseil d’Etat et ce, en sa seule fonction de conseil. Paradoxalement, le Conseil constitutionnel a à deux reprises consacré les pouvoirs du juge administratif. Aussi est-il plus que nécessaire et surtout cohérent d’inscrire l’existence du juge administratif dans la Constitution.

Les pourfendeurs de la juridiction administrative sont les meilleurs défenseurs de cette revendication :

« La question n’est pas le nombre, mais de savoir si le statut dont bénéficie le juge en fait le garant effectif des libertés. Le constituant de 1958 avait bien posé les choses, en affirmant qu’il fallait un juge indépendant pour garantir les libertés. Le juge judiciaire a un statut constitutionnel, pas le juge administratif. ». M. Bertrand Louvel, premier Président de la Cour de Cassation, Le Monde, 23 mai 2016.

« Aussi curieux que cela paraisse et malgré les immenses qualités du juge administratif, c’est, dans l’esprit du public, le juge judiciaire qui est le garant des libertés. En effet, une bonne partie de nos concitoyens ont du mal à se représenter la justice administrative et, pour eux, la justice se rend dans les palais de justice par des hommes et des femmes qui respectent un rituel particulier, revêtent des robes particulières, par exemple dans un tribunal de grande instance plutôt proche de leur domicile. C’est injuste vis-à-vis du juge administratif mais c’est ainsi que nos concitoyens perçoivent la réalité. ». Extraits des débats parlementaires, M. Dominique Raimbourg, avocat, député de la Loire-Atlantique, rapporteur du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, commission des lois constitutionnelles, 28 janvier 2016.

« Et l’administration a son propre juge – curiosité nationale, tant il est vrai que la formule de « justice administrative » est contradictoire dans les termes, comme toute justice d’exception. ». M. Serge Sur, professeur émérite de droit public à l’Université Panthéon-Assas, dans une tribune dans « Le Monde » du 9 mars 2017.

Dans la majeure partie des Etats dotés d’un Conseil d’Etat ou d’une Cour administrative suprême, l’existence de cette institution est consacrée par le texte même de la Constitution.

Tel est ainsi le cas de l’Italie, de l’Allemagne, de la Grèce, des Pays-Bas, de la Pologne, de la République tchèque, de la Suède ou de la Turquie.

A titre d’exemple, en Italie, où le Conseil d’Etat exerce, comme en France, le rôle de conseiller du Gouvernement et celui de juridiction suprême de l’ordre administratif, cette double mission est consacrée par la Constitution italienne, en ses articles 100 et 103 :

L’Article 100 de la Constitution italienne énonce ainsi : « Le Conseil d’Etat est un organe de consultation en matière juridique et administrative, et un organe chargé d’assurer la justice au sein de l’administration ».

Et l’article 103 de la même Constitution de préciser : «  Le Conseil d’Etat et les autres organes de justice administrative exercent leur juridiction pour assurer la protection, dans les rapports avec l’administration publique, des intérêts légitimes ainsi que des droits subjectifs dans des matières particulières indiquées par la loi. ».

L’absence de reconnaissance constitutionnelle de l’ordre administratif souffre donc d’une double incohérence historique et juridique :

  • historique dès lors que la France, berceau d’une juridiction administrative, marque un retard au regard d’autres constitutions étrangères ;
  • juridique dès lors que le conseil constitutionnel a reconnu la constitutionnalisation des compétences du juge administratif alors même que son existence constitutionnelle ne l’a pas été.

La présente proposition de loi se donne donc pour objet de consacrer le statut de la juridiction administrative dans le corps de la Constitution :

Proposition :

Titre IX (à intercaler entre le titre VIII et l’actuel titre IX) : L’ordre juridictionnel administratif

Article 66-2

« L’ordre juridictionnel administratif est garant de l’Etat de droit et de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Il contribue au respect de ces principes dans les conditions fixées par la loi.

L’ordre juridictionnel administratif est formé de la section du contentieux et des chambres du Conseil d’Etat, des cours administratives d’appel, des tribunaux administratifs, des juridictions administratives spécialisées et du tribunal des conflits.

Le Président de la République, assisté du conseil supérieur de la magistrature administrative (CSMA), organisme paritaire compétent pour gérer la carrière des magistrats administratifs, (actuel CSTACAA), est le garant de l’indépendance de la juridiction administrative. Les magistrats de l’ordre administratif sont inamovibles. Une loi porte statut des magistrats administratifs et détermine la composition, l’organisation et le fonctionnement du CSMA »