Réunion de dialogue social du 16 novembre 2021 sur la mobilité et le détachement des magistrats

Résumé de nos demandes

L’USMA a insisté sur les risques que la réforme de la haute fonction publique fait porter sur la carrière des magistrats administratifs et sur l’organisation de la juridiction administrative. Il est important que des mesures fortes soient prises rapidement pour éviter que les magistrats ne soient pénalisés.

Nous avons  :

  • Demandé des statistiques permettant d’évaluer les difficultés : perspective de l’augmentation de la mobilité avec la HFP ; temps moyen des mobilités ; nombre de mobilités hors Ile-de-France.
  • Demandé la pérennisation et le renforcement de la mission mobilité au Conseil d’Etat et Indiqué que la « revue des cadres », testée auprès des membres du CE et qui doit nous être étendue, ne devait pas faire peser la difficulté structurelle pour accomplir nos mobilités ni sur chacun de nous, ni sur les chefs de juridiction.
  • Soutenu la démarche d’information plus systématique sur les qualités et atouts des magistrats administratifs auprès d’employeurs potentiels tels que les hôpitaux, les centres de gestion, les établissements publics, les collectivités locales…
  • Rappelé la nécessité des mesures d’accompagnement lors des mobilités (aide au logement, travail du conjoint).
  • Insisté sur la nécessité de limiter la désorganisation des tribunaux et probablement de prévoir un mouvement de mutation complémentaire.
  • Insisté fortement sur le fait que le corps doit demeurer attractif (rémunération, conditions de travail et conditions de détachement).
  • Proposé de favoriser les mobilités juridictionnelles
    • Concrétiser rapidement l’accès au Conseil d’État en qualité de MRSE
    • Développer les mobilités à la CJUE, TUE, CEDH, CC, Cour des comptes
    • Appuyer nos demandes de simplification des mobilités chez les juges judiciaires
  • Invité à repenser comme mobilités certaines fonctions au sein de la juridiction administrative
    • Les fonctions occupées à la CCSP et à la CNDA
    • La présidence de véritables juridictions ordinales
    • Les emplois transversaux du CE (créer des postes de référents nationaux, préférer les compétences internes plutôt que des prestataires externes)
  • Demandé que soient renforcées les mobilités compatibles avec notre profil (AAI, postes d’éthique ou de conciliateurs) et pointé les obstacles à lever si des mobilités hors de la fonction publique, déjà possibles, devaient se multiplier.
  • Demandé la modification des orientations du CSTA afin de coordonner au mieux l’exercice de la double mobilité et les passages de grade.

Préambule : de quoi parle-t-on ?

La mobilité et le détachement sont respectivement prévus par les articles R. 235-1 et R. 235-2 du CJA.

Le premier prévoit notamment que la mobilité ne peut se faire qu’après deux ans de fonction et exclut qu’elle se fasse dans un cabinet d’avocats. Le second prévoit qu’un détachement ne peut se faire qu’au bout de quatre ans.

Pour le reste, nos mobilités sont régies par le décret n°2008-15 relatif à la mobilité des corps ENA.

Entre 2015 et 2020, le nombre de départs en mobilité dans les TACAA varie entre 28 et 38 par an avec un pic à 56 en 2016. Cela représente entre 8,5 et 11% du nombre de C et PC remplissant les conditions pour effectuer une mobilité (16,5% en 2016).

Les dernières données communiquées par le service montrent une tendance accrue au départ en 2021. Au 31 décembre 2021 :

– 63 départs en détachement ou mise à disposition dont 46 au titre de la mobilité statutaire

– 38 magistrats affectés en CAA pour faire leur mobilité statutaire

Dans les TACAA, ce sont 15,8% des magistrats qui sont aujourd’hui hors du corps, demain ce sera beaucoup plus. Plus de possibilité d’aller en CAA, nouvelle mobilité obligatoire pour passer au grade de PC, à combien le service évalue-t-il la mobilité à venir ?

Par ailleurs, le bilan social n’indique pas le temps moyen passé en mobilité. Même si l’on peut s’en faire une idée avec le nombre de magistrats hors du corps et le nombre de mobilités annuelles, nous souhaiterions le connaître. De même que les postes occupés sur le long terme.

L’USMA souhaite également avoir des précisions sur le nombre de mobilités exercées hors de la région Ile-de-France.

Notre première demande est de connaître ces chiffres, qui seront également fort utiles au gestionnaire.

L’USMA rappelle que le mode de fonctionnement du CE où 30 à 40 % des effectifs sont hors du corps est pour une juridiction difficilement compatible avec les standards européens, notamment ceux du Conseil de l’Europe et que la magistrature de carrière est une garantie de compétence et d’indépendance.

Défenseur de la mobilité, le gestionnaire est confronté à la réalité

Les débouchés actuels en mobilité sont déjà nettement insuffisants. Or il n’est pas envisageable que la carrière d’un magistrat soit bloquée au septième et dernier échelon du grade de conseiller. Le service est donc au pied du mur pour développer à grande échelle un nombre de postes actuellement dérisoire. Certes la mobilité accrue libérera des places, encore faut-il que nous puissions les prendre et qu’il y en ait où nous exerçons, c’est-à-dire pour 70% du corps en province !

La mission mobilité est un atout. Marianne Briex s’engage pleinement aux côtés des collègues. Son soutien, son accompagnement, sa préparation aux entretiens permettent de décrocher quelques postes.

La mission mobilité doit être pérennisée et renforcée pour pouvoir aller vers une prospection encore plus systématique et une préparation pour aller vers la FPH, les centres de gestion…

La difficulté dépasse largement l’aide que peut apporter la mission. Le bilan dressé lors du CSTA de juillet 2021 sur la mission mobilité pointe des difficultés structurelles à pénétrer le marché de l’emploi supérieur en dehors de l’Île-de-France :

– Les postes d’encadrement supérieur susceptibles d’y être occupés sont rarement des postes d’expert juridique.

– Beaucoup de ceux qui relèvent de l’administration déconcentrée sont « préemptés » par les membres de corps internes aux ministères de tutelle, les autres se situent à un grade inférieur, souvent celui d’attaché.

– Les emplois les plus nombreux se situent dans les collectivités locales mais requièrent souvent une expérience d’encadrement.

Le service a indiqué en CSTA qu’il envisageait de faire plus systématiquement notre publicité, au niveau national, sur le site internet du CE et par des plaquettes et, au niveau local, dans des forums au niveau des ressorts de cour, auxquels seront invités notamment des employeurs locaux. A priori, on ne choisit pas la fonction publique et moins encore la magistrature pour se trouver dans une bourse à l’emploi… qui plus est auprès des justiciables.

Poursuivre une forte publicité des compétences des magistrats administratifs

Il était également envisagé une revue des cadres pour les premiers conseillers qui n’ont pas fait de mobilité et n’ont pas été nommés en cour d’appel, soit environ 200 personnes. Ils se verraient proposer ensuite des solutions d’accompagnement à définir (coaching, mentorat, formation…).

L’USMA n’est pas opposée par principe à un accompagnement ou à travail pour mieux connaître ses points forts et faibles mais nous le serions à ce que l’on fasse reposer une difficulté structurelle majeure sur les épaules de chacun sommé de devenir performant pour se vendre. Les magistrats souffrent suffisamment dans leurs tentatives de répondre à des injonctions de « performance » dans la production de jugements pour ne pas y ajouter d’autres injonctions.

Nous avons pu constater sur l’intranet qu’il avait été procédé à une revue des cadres titre expérimental au CE. 70 membres volontaires ont pu bénéficier d’un entretien approfondi avec leur président pour faire le point sur leur carrière et leurs projets d’évolution professionnelle. Leurs aspirations ont ensuite été discutées par les présidents puis le bureau du CE. Le bureau fait des recommandations sur les projets et l’accompagnement qui pourrait être proposé. Le vice-président souhaite que l’extension vers les TA mette en exergue l’importance du « management de proximité » celui des chefs de juridiction.

L’USMA doute qu’il soit possible pour les chefs de juridiction de démarcher les administrations locales pour « placer » leurs magistrats.

La revue des cadres : de nombreux écueils à éviter, notamment ne pas faire reposer une charge excessive sur les chefs de juridiction, pour une utilité à démontrer…

Enfin, le service envisageait une aide au logement en région parisienne et une aide à la recherche d’emploi du conjoint. Ces mesures d’accompagnement sont effectivement indispensables.

Réaffirmation de cette demande

Le Conseil d’État devra anticiper le désordre complet dans les juridictions

Le métier de magistrat est un savoir-faire et il s’apprend. L’instabilité des effectifs est inopportune, y compris pour la gestion des stocks ou le traitement des dossiers lourds.

Notre activité requiert un peu de prévisibilité pour organiser les chambres, répartir les stocks et les matières.

Le gestionnaire, favorable à cette double mobilité, devra s’adapter : plus de débutants venus d’ailleurs, des chambres qui changent en cours d’année voire qui demeurent incomplètes alors que le mouvement de mutation est annuel. Les chefs de juridiction l’ont bien compris et nous ne doutons pas qu’ils se sont fait l’écho de ces difficultés.

La doxa du « il faut prendre l’air » arrive à un moment de forte augmentation du nombre d’arrêts de travail, que nous relions à l’épuisement des magistrats. Pour mémoire, ce nombre est passé entre 2016 et 2019 de 200, à 236, 279 puis 307.

Le corps des TACAA devra être également être attractif par sa rémunération, ses conditions de travail et ses conditions de détachement. Comme nous l’avions indiqué lors du CSTA de septembre, les détachés doivent être assurés au plus vite de leur sort. Il est important d’interroger les détachés qui quittent le corps car ce sont eux qui font notre réputation dans leur corps d’origine.

L’USMA remet en cause l’unique mouvement annuel qui ne paraît plus tenable.

L’USMA demande d’améliorer l’information des futurs détachés sur leurs affectations.

Le corps doit demeurer attractif (rémunération, conditions de travail et conditions de détachement).

Comment et chez qui s’inviter lorsqu’on n’est pas (encore) attendu

  • Des mobilités de magistrats

Parce que notre métier est celui de magistrat et qu’il ne s’improvise pas, l’expérience acquise dans les juridictions est particulièrement précieuse. Cela nous permettrait de voir d’autres systèmes juridictionnels et préserverait notre impartialité à l’égard de l’administration sans avis de commission de déontologie.

L’USMA attend que se concrétise sa demande de mobilité au CE par la voie des MRSE actuellement en cours de réflexion.

L’USMA demande également que les magistrats des TACAA puissent accéder plus largement à la Cour de justice européenne, à la CEDH, au Conseil constitutionnel, à la Cour des comptes…

Si nous sommes astreints à mobilités multiples dans le cadre d’un parcours de carrière et à l’image du CE, il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions prétendre à ces postes pour lesquels nous sommes armés et compétents.

Les juridictions judiciaires offrent des possibilités de mobilité en province mais la procédure de détachement est très longue et complexe. L’USMA demande à ses interlocuteurs, depuis longtemps, une simplification de cette procédure, de plus fort lorssqu’il s’agit d’un deuxième détachement.

Nous demandons aujourd’hui l’appui le plus fort du CE pour faciliter le détachement au judiciaire.

La mobilité en CRC est également pertinente même si leur avenir est actuellement incertain.

  • Des mobilités au sein des juridictions administratives et postes assimilés : « nos juridictions ont du talent »

Certaines activités pourraient devenir de véritables mobilités :

– La présidence de véritables juridictions ordinales, à l’instar de celle des commissions d’indemnisation de l’ONIAM. 

– L’exercice de fonctions au sein de la CCSP devrait être assimilé à une mobilité au regard de la différence du mode de fonctionnement. Il suffirait de prévoir un droit à un retour dans sa juridiction d’origine après deux ans de mobilité et selon les conditions habituelles (modification de l’orientation CSTA 1bis, point 2.3 en y ajoutant en plus de la conservation de l’ancienneté, un droit au retour, même en surnombre).

– Pourquoi pas une mobilité en tant que juge de l’asile à la CNDA ? Le métier est là également très différent.

L’article 14 du décret n°85-986 prévoyant dans son 11° qu’un fonctionnaire peut être détaché pour exercer un mandat syndical, nous songions qu’un nombre déterminé de personnes par OS, pourrait être considéré comme en mobilité tant notre activité diffère nettement du travail en juridiction. Nous ne savons si cela est compatible avec le maintien de la rémunération par l’employeur mais avons soumis  l’idée pour analyse. Cela peut être simplement « assimilé à » dans le cadre des textes à venir à la suite de la réforme.

– Les emplois transversaux du CE. Le gestionnaire demande de plus en plus de référents dans de nombreux domaines. Pourquoi ne pas prévoir qu’un magistrat par « catégorie » occupe cet emploi à plein temps afin d’une part aider les collègues locaux et d’autre part centraliser l’ensemble des travaux et impulser des dynamiques sur l’ensemble des juridictions.

Pourquoi faire appel à des prestataires extérieurs au lieu de valoriser les compétences internes en formant des formateurs, des coachs, un(e) formateur/trice de correspondants hygiène et sécurité. La connaissance intime de la juridiction est un atout fondamental.

Le gestionnaire s’y retrouverait également sur le plan économique.

Nous demandons aujourd’hui l’expertise de ces différentes pistes

  • Des mobilités compatibles avec notre profil :

– Les autorités administratives indépendantes.

– Les postes d’éthique ou de conciliateurs dans les différentes administrations.

La pratique de la conciliation peut être d’un grand apport pour faire évoluer la juridiction et s’inspirer des pratiques de nos collègues allemands.

  • Détachements en dehors de l’administration : la vérité est-elle ailleurs ?

Si certaines expériences sont très enrichissante professionnellement et humainement, l’USMA n’est pas convaincue qu’il s’agit d’un modèle à promouvoir particulièrement. L’état des textes nous parait à ce titre suffisamment clair sans nécessité de modification mais des précisions dans nos orientations sont nécessaires. Il faudra anticiper plusieurs difficultés.

L’ouverture du corps à « tous les vents » constitue un changement de culture profond vers une logique à l’anglo-saxonne. Elle risque de nuire au « creuset des magistrats », à cet équilibre actuel remarquable des expériences de chacun.

Surtout, l’USMA redoute fortement que la confiance des justiciables ne se dégrade.

A tout le moins, nous faudra-t-il une robe…

Depuis 2019, l’article 48-1 du décret n°85-986 précité prévoit que le fonctionnaire en disponibilité conserve ses droits à avancement pendant 5 ans.

Une saisine au départ et au retour de la commission de déontologie nous paraît une garantie sérieuse… mais elle demeurera ignorée du justiciable.

D’autres difficultés demeurent :

Rappelons que l’article R. 235-1 du CJA exclut aujourd’hui explicitement la mobilité en cabinet d’avocats. Un entretien de déontologie au retour implique un recensement des anciens clients qui se heurte au secret professionnel.

Certaines propositions peuvent tenter des collègues mais elles emportent une perte de rémunération : les associations, l’université.

En outre, un passage dans une association comporte un risque de récusation non négligeable à un moment où l’open data va déjà fragiliser les juges en les exposant personnellement. La trace internet de passage dans une association nous vaudra suspicion lorsque nous jugerons du type d’intérêts défendus.

Le service nous a confirmé qu’une disponibilité peut valoir une mobilité pour les magistrats administratifs dans le cadre des dispositions règlementaires actuelles même si ceux-ci méritent d’être clarifiés.

  • Des « mobilités enchaînées »

Aujourd’hui, il est possible de prendre son grade de premier conseiller alors que nous sommes en mobilité. Il faut que cette possibilité demeure et soit mieux précisée. Dès lors qu’un magistrat accompli ses deux ans de mobilité et alors même qu’il est toujours en administration, il doit pouvoir accéder à ce grade.

Il faut également que le magistrat puisse faire dans la foulée sa deuxième mobilité statutaire s’il en a l’occasion et les moyens. Il serait illogique d’ obliger le magistrat à rentrer de façon artificielle alors qu’il peut bénéficier d’un nouveau poste en mobilité.

Par conséquent, nous proposons de faire évoluer le texte R235-1 alinéa 3 qui limite à quatre ans le droit au retour.  

Enfin l’USMA pense nécessaire de s’interroger sur les collègues qui sont malheureusement partis trop longtemps et avec qui le lien est devenu très distendu.

Les orientations du CSTA doivent être revues et clarifiées. Des modifications règlementaires sont probablement à prévoir pour s’adapter à la réforme de la HFP