Rencontre avec le Vice-Président du Conseil d’Etat (27 juin 2018)

Chers collègues,

Une délégation de l’USMA (Olivier Di Candia, Ophélie Thielen et Ivan Pertuy) a rencontré M. Lasserre, vice-président du Conseil d’Etat, le mercredi 27 juin, ainsi que Mme Bergeal, secrétaire générale du Conseil d’Etat.

Cette rencontre a été l’occasion pour nous, d’abord, de porter à la connaissance de notre nouveau vice-président les revendications traditionnelles de l’USMA.

Nous l’avons ensuite entretenu de cette révolution qu’est l’abandon de la norme, sur laquelle nous appelons à une très grande vigilance et à laquelle nous ne sommes favorables qu’à la condition qu’elle s’accompagne d’une réelle détermination collective et concertée du travail à accomplir.

Nous avons enfin appelé de nos vœux la rénovation de la carrière des magistrats, devenue très longue à la fois du fait de la baisse de l’âge moyen d’entrée dans le corps, de l’engorgement de la nomination au grade de président et du manque de diversité des fonctions.

L’habit fait le juge

Nous avons d’abord rappelé le combat mené par l’USMA depuis 1986, qui a connu d’immenses avancées mais n’a pourtant pas encore abouti, combat tendant à nous voir exercer, tant en réalité qu’en apparence, comme des magistrats indépendants.

La reconnaissance constitutionnelle

Le Conseil constitutionnel a certes reconnu notre indépendance. Mais ce qu’il a fait, il peut le défaire. Quand l’indépendance de la magistrature judiciaire ne peut être remise en cause que par le biais d’une révision constitutionnelle nécessitant un vote de la majorité du peuple français ou des deux tiers du Congrès, l’atteinte à celle du juge administratif ne suppose, pour un exécutif mal intentionné, que de convaincre la majorité des membres du Conseil constitutionnel. Il y a là une différence dans la solidité des garanties qui ne se justifie pas.

Un magistrat n’est par ailleurs magistrat que s’il est perçu comme tel, par le port de la robe, et s’il se conçoit lui-même comme tel, par la prestation de serment. Nous avons notamment illustré notre propos sur la robe auprès du vice-président par une photo d’une salle d’audience d’un tribunal francilien qui n’est pas sans rappeler un guichet administratif. Nous nous sommes référés par ailleurs, s’agissant de la prestation de serment, aux principes regardés par le Premier ministre, lors du discours d’installation de M. Lasserre, comme consubstantiels de la juridiction administrative. Cette prestation de serment, qui a pour objet de créer chez l’ensemble des collègues entrant dans le corps, quelle que soit leur origine professionnelle ou leur voie d’entrée, une conscience collective de leur mission, pourrait ainsi évoquer « la nécessaire conciliation de principes qui peuvent être vus comme contradictoires mais qui sont tous essentiels : la défense de l’intérêt général, la protection des libertés, le souci de continuité et d’efficacité de l’action publique, la préservation des prérogatives de puissance publique … ».

Monsieur le vice-président a indiqué, en substance, que l’indépendance ne lui semblait pas une question formelle et que, pour le juge administratif, elle est le résultat d’une patiente construction, rempart plus solide contre les atteintes que les apparences de l’indépendance.

Vos représentants ont cependant réaffirmé que la forme doit rejoindre le fond et que les attaques dont a fait l’objet la juridiction administrative, notamment sur la question de la protection des libertés dans le cadre de l’état d’urgence, étaient essentiellement fondées sur ces considérations, alors même que le juge administratif est traditionnellement protecteur des libertés.

Monsieur le vice-président a dit sa ferme intention de réagir à de telles atteintes ou à de telles critiques, qu’elles viennent de la doctrine ou d’autres commentateurs, plus ou moins connaisseurs de notre institution.

Préserver efficacité et bien-être en corrigeant les effets d’un abandon brutal de la norme

Nous avons évoqué l’expérimentation en cours, objet du message que nous vous avions adressé la semaine dernière. Les chefs de juridiction peuvent, dès maintenant, dans le cadre d’une expérimentation généralisée à l’ensemble d’une juridiction, mettre en œuvre les recommandations émises par la MIJA sur la charge de travail en abandonnant la référence à la norme Braibant.

Nous avons fait part au vice-président nos craintes de voir l’abandon de la norme donner lieu à une concertation de façade, ayant en réalité pour effet d’accroître encore une charge de travail devenue insoutenable pour certains de nos collègues, comme l’a démontré également l’enquête sur le climat social.

Nous avons présenté, sans toutefois désigner les juridictions en question, des exemples d’expérimentation particulièrement descendants, où l’augmentation prévisible des entrées est répercutée, en sorties projetées, sur un nombre de magistrats en régression.

Monsieur le vice-président a d’abord rappelé qu’une expérimentation n’avait de sens que lorsqu’elle donnait lieu à une évaluation de qualité, qui devait prendre en compte tous les aspects de la question, y compris la soutenabilité de la charge de travail des magistrats.    Madame la secrétaire générale du Conseil d’Etat a indiqué ensuite que la charge de travail résultait, non d’une exigence du Conseil d’Etat, mais de la nécessité de répondre à la demande de justice, et que les juridictions devaient nécessairement y répondre.    Madame la secrétaire générale du Conseil d’Etat a ajouté prendre l’engagement d’inciter les chefs de juridiction à diffuser les lettres de cadrage aux magistrats, leur permettant de constater de manière transparente que le Conseil d’Etat, loin de faire application d’une norme rigide, prévoit la réalisation d’objectifs concrets et concertés permettant de répondre à ce besoin de justice.   Monsieur le vice-président a enfin souligné que la crainte éprouvée par les magistrats devant l’abandon de la norme, qui n’avait pourtant jamais eu un caractère officiel, est normale, mais que, dès lors que le changement est mené dans un cadre collectif, par la fixation d’objectifs partagés, la réponse organisationnelle des chefs de juridiction permettrait de répondre aux inquiétudes.   Il a souligné que la souplesse donnée aux chefs de juridiction dans la fixation des objectifs n’avait d’autre objet que de leur permettre d’adapter l’organisation de leur juridiction, compte tenu de ses caractéristiques propres, et notamment en utilisant de manière plus pertinente l’aide à la décision.  

Vos représentants de l’USMA ont cependant fait part de leur souhait de voir notre gestionnaire inviter les chefs de juridiction à mettre en place une véritable concertation par la mise en place d’un dialogue constructif entre les objectifs nés de la demande de justice ou définis par le Conseil d’Etat et la capacité d’engagement des juridictions.

Nous avons souligné que les fonctions de magistrat peuvent être porteuses, de part la confusion qu’elles créent parfois entre vie privée et vie professionnelle, de risques psycho-sociaux importants, et qu’à cet égard, un abandon brutal de la norme pourrait avoir des répercussions dommageables.

Rénover la carrière 

Nous avons présenté à Monsieur le vice-président, qui évoquait l’utilisation pertinente de l’aide à la décision, le souhait, porté par l’USMA, de voir se développer de vrais pôles d’aide à la décision confiés à des premiers conseillers expérimentés, permettant ainsi de garantir la qualité des productions de l’aide à la décision mais aussi de détecter et renforcer les aptitudes des promouvables au grade de président.

Monsieur le vice-président du Conseil d’Etat a indiqué qu’il lui semblait important de laisser aux chefs de juridiction une liberté organisationnelle, pour leur permettre de s’adapter aux caractéristiques propres des juridictions qu’ils président, même si la création de pôles d’aide à la décision lui semble être une idée intéressante. 

Nous avons très rapidement évoqué la question de l’alignement de notre rémunération sur celle des corps comparables, qui sera évoquée lors de prochaines réunions de dialogue social avec Madame la secrétaire générale du Conseil d’Etat.

Monsieur le vice-président nous a indiqué être à l’écoute des organisations syndicales de magistrats pour ce qui concerne les interrogations de principe qui pourraient apparaître à l’avenir.

L’USMA, en conclusion de cette rencontre constructive, au cours de laquelle M. le vice-président a accepté que nous prenions une photographie (que vous trouverez annexée à ce courriel), a offert à Monsieur le vice-président et à Madame la secrétaire générale du Conseil d’Etat le stylo et la balle anti-stress aux couleurs de l’USMA, d’ores et déjà distribués aux deux dernières promotions du CFJA.