L’argent est-il le bon levier de motivation pour des cadres ou des experts ?

L’idée que les récompenses – ou les pénalités – financières sont un bon outil pour motiver des salariés s’inscrit dans un courant managérial inspiré de la fameuse pyramide de Maslow : puisque les besoins physiologiques ou de sécurité sont les plus fondamentaux, la perspective de gagner plus d’argent pour pouvoir mieux satisfaire ces besoins nous poussera à travailler plus, par exemple pour acheter un logement – ou en trouver un plus grand – ou même pour le seul sentiment de sécurité face aux éventuels coups durs de la vie qu’un compte épargne bien garni contribue à renforcer. Il en va de même pour la crainte de recevoir moins d’argent et donc d’avoir plus de mal à remplir ces besoins.

Un bon dosage entre la carotte et le bâton ?

Dans cette perspective, il suffit de doser savamment les incitations positives (primes et avantages matériels de tous genres) et négatives (réduction ou suppression de ces primes et avantages, voire risque de perdre son emploi) pour obtenir la production maximale de la part de ses employés.

En réalité, cela ne fonctionne réellement que lorsque le niveau de salaire initial est bas. L’envie de gagner mieux sa vie ou la crainte de ne pas pouvoir payer ses factures peuvent alors être très stimulantes. C’est ce qu’on appelle, dans certaines entreprises, une rémunération « motivante » : la part fixe est tellement faible que seules les primes sur résultats permettent d’obtenir un revenu correct.

Nous avons besoin d’autre chose

Mais, dès que notre niveau de revenu stable nous permet d’être rassurés sur le fait que nos besoins fondamentaux seront satisfaits, les autres besoins – notamment ceux liés à l’estime de soi au sens large et à l’accomplissement de soi – prennent de plus en plus d’importance dans notre vie et ce sont eux qui vont nous motiver au premier plan[1].

L’approche de Maslow n’a, en réalité, rien de mécanique et elle doit être utilisée avec beaucoup de nuances. Susan David, professeure de psychologie à Harvard, a mené en 2014 pour Ernst & Young une étude qui illustre parfaitement cette idée. Elle s’est intéressée aux unités qui avaient à la fois les meilleurs résultats pour le chiffre d’affaires et la réputation professionnelle et les employés les plus motivés. Elle leur a, notamment, demandé ce qui expliquait leur motivation et leurs résultats. 4% seulement des personnes interrogées ont mentionné leur salaire comme facteur de motivation. A la place, ils ont parlé de leur sentiment de connexion avec leur équipe, les défis à relever dans leur travail, le fait de se sentir pleinement considérés en tant qu’individus et leur sentiment d’épanouissement dans leur rôle.

La motivation repose sur plusieurs facteurs

Susan David conclut son article ainsi : « la réalité est que les besoins humains ne peuvent pas être proprement classés dans une pyramide. Motiver quelqu’un n’est pas simple et ce n’est certainement pas mécanique. L’idée d’une hiérarchie des besoins est séduisante parce qu’elle parait facilement utilisable. En réalité, il existe de nombreux facteurs qui contribuent à l’engagement d’un salarié, notamment la qualité des relations dans son équipe, son autonomie, l’intérêt ou le sens de son travail, la reconnaissance qu’il reçoit et les possibilités de progression dont il bénéficie. Ne laissez pas l’idée d’une motivation purement financière conduire votre stratégie, vos employés méritent mieux qu’une pyramide. »

Un autre spécialiste de la motivation au travail, Frederick Herzberg, avait déjà identifié dans les années 1960 les principaux facteurs de motivation sur le long terme :

  • Intérêt des missions et présence de défis (réalistes) à relever ;
  • Autonomie et responsabilités ;
  • Perspectives d’évolution et de promotion ;
  • Valorisation du travail accompli, reconnaissance ;

Deux autres enseignants à Harvard, Teresa Amabile et Steven Kramer ont conduit en 2011 une étude sur plus de 200 personnes, travaillant dans 26 équipes différentes de 7 multinationales pour comprendre les sources de leur motivation. Ils leur ont demandé de remplir pendant plusieurs semaines un journal (anonyme) dans lequel ils notaient au jour le jour les événements principaux de leur travail, leur perception de celui-ci, leurs émotions et leur niveau de motivation.

Ils ont constaté que les employés les plus productifs étaient ceux dont la « vie intérieure professionnelle » était positive, parce qu’ils avaient le sentiment de remporter régulièrement de petites victoires et de progresser tous les jours pour atteindre un but qui avait du sens pour eux.

En parallèle, T. Amabile et S. Kramer ont interrogé 600 managers de ces mêmes entreprises sur les facteurs de motivation de leurs collaborateurs. 95% d’entre eux ont répondu l’argent, la sécurité ou la pression, passant ainsi complétement à côté des véritables leviers dont ils disposaient pour maintenir ou augmenter l’engagement de leurs équipes …

Deux types de motivation très différentes

Ces études de terrain sont d’autant plus intéressantes que leurs résultats correspondent aux hypothèses d’une des principales théories psychologiques, celle de l’autodétermination. Celle-ci distingue deux catégories principales de motivation :

  • La motivation intrinsèque, qui nous pousse à nous engager dans une activité pour l’intérêt qu’elle présente et pour la satisfaction que nous retirons en la pratiquant. Un des principaux avantages de cette source de motivation est qu’elle se renforce par elle-même : le simple fait de faire quelque chose qui nous intéresse accroit notre motivation pour continuer.
  • La motivation extrinsèque, qui repose sur le fait d’espérer une récompense ou d’éviter une punition. Son gros inconvénient est qu’elle s’épuise très vite et nécessite un renforcement régulier des récompenses – ou une peur accrue des désagréments – pour rester efficace. En outre, elle pousse à remplir les seuls critères qui permettent d’obtenir une récompense et défavorise ainsi la prise d’initiatives et la créativité. Comme l’explique François Potier, un ancien DRH devenu consultant : « l’outil salaire n’est fait que pour la motivation à court terme. Sur le long terme, il peut même jouer un rôle inverse [car] le salaire est regardé comme une arme fatale, ou magique, par le management qui, du coup, oublie de se préoccuper d’embarquer les collaborateurs, en donnant du sens à leur travail, en développant l’esprit d’entreprise, etc. »
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Trois besoins fondamentaux

Cette approche de l’autodétermination considère que notre niveau de satisfaction dans notre vie professionnelle – et donc la clé de notre motivation – dépend de la satisfaction de trois besoins fondamentaux, qui relèvent tous de la motivation intrinsèque :

  • Le sentiment d’appartenance à notre milieu professionnel, qui inclut la reconnaissance par notre hiérarchie et nos pairs.
  • L’autonomie dans notre travail, qui nécessite de ne pas se sentir écrasé par des objectifs tellement élevés qu’ils nous ôtent toute marge de manœuvre en nous laissant le nez dans le guidon en permanence pour tenter de les atteindre.
  • Et le sentiment de pouvoir progresser personnellement, en particulier en augmentant et diversifiant nos compétences, qui passe aussi par la possibilité d’une évolution professionnelle satisfaisante sur le moyen et le long terme.

Alors, sur quoi agir ?

De nombreuses études sont venues renforcer le bien-fondé de cette théorie en démontrant que nous sommes plus motivés lorsque :

  • Nous constatons que notre travail est apprécié par notre hiérarchie ; 
  • Nous pouvons voir le résultat de nos efforts ;
  • Nous avons une bonne autonomie ;
  • Nous avons des défis intéressants (et réalistes) à relever ;
  • Nous avons un sentiment d’appartenance à notre communauté de travail ;

Ce sont ces pistes qui devraient être creusées pour accroitre la satisfaction professionnelle des magistrats administratifs et ainsi maintenir – et parfois faire revenir – leur motivation.

Les premiers résultats du baromètre social 2021 disponibles à la date de cet article montrent toute l’urgence d’une telle (ré)orientation !


Stéphane Wegner

La recherche des facteurs de motivation au travail a suscité des centaines de livres et des milliers d’articles. Le but de cet article n’est pas d’en faire une analyse exhaustive, mais d’aborder brièvement le rôle des récompenses financières. Pour une présentation très synthétique des différentes théories de la motivation, le lecteur pourra se reporter à Bertolino Marilena, « Motivation », dans : Gérard Valléry éd., Psychologie du Travail et des Organisations : 110 notions clés. Paris, Dunod, « Univers Psy », 2019, p. 316-321.


[2] Par exception, certaines personnalités sont motivées par l’argent en lui-même, quel que soit leur niveau de revenu, mais on les rencontre très rarement dans la fonction publique