Interview de M. Chantepy, président de la section du contentieux

Christophe Chantepy a bien voulu recevoir l’USMA pour une interview, le 8 septembre 2021, après ses premiers mois en qualité de président de la section du contentieux.

Lors du mouvement de grève contre la réforme de la haute fonction publique, un sondage de l’USMA a montré que parmi les souhaits des magistrats se trouvent une meilleure connaissance par le Conseil d’Etat du travail des magistrats administratifs. Partagez-vous le constat et quelles sont vos propositions ?

Je suis très attaché à tout ce qui peut améliorer encore la fluidité des échanges. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres sur les méthodes de travail et, pour ne citer qu’un exemple, l’importance de l’oralité.

Depuis le début de la crise sanitaire, il existe, à l’initiative du Président Combrexelle, des échanges mensuels par visio entre le président de la section du contentieux, le secrétariat général et les chefs de juridiction, notamment sur la question des référés. Il est important que ces échanges perdurent après la crise sanitaire, pour nous informer mutuellement et en temps presque réel des difficultés que nous pouvons rencontrer.  Par ailleurs, tous les trimestres, se tient une réunion avec les présidents de cour.

Pour ce qui est du contentieux, il existe bien évidemment les demandes d’avis, et vous savez que cette procédure, très utile, est d’un maniement aisé.

Le président de la section du contentieux accompagne le Vice-président lors des visites en juridictions. Ce sont toujours des moments forts d’échanges. En effet, pour ce qui est du contentieux, le juge de cassation a besoin d’un retour direct sur ses décisions, il a besoin de savoir si elles sont comprises et quels problèmes d’application elles peuvent poser.

Par ailleurs, je souhaite réactiver une formule que nous avons dû totalement abandonner depuis le début de la crise sanitaire : les visites du contentieux dans les juridictions, mais dans une formule moins formelle et plus souple qui permette, à la demande et selon des formats variables, des échanges approfondis. Et nous pouvons aussi, toujours à la demande, développer les échanges thématiques entre telle chambre de la section du contentieux et les magistrats spécialisés des juridictions du fond.

Qu’en est-il du rapprochement entre les corps des TA/CAA et du CE ? Etes-vous favorable à ce que les magistrats administratifs puissent intégrer l’auditorat du CE (nouvel article L133-5 du CJA) ou que des postes de MRSE soient réservées chaque année au magistrats administratifs par la voie du détachement, tel que nous le demandons ?

La réforme de la haute fonction publique a le mérite de prévoir deux postes au minimum réservés aux magistrats administratifs en qualité de maître des requêtes ce qui correspondait à la pratique et à la qualité des candidatures. Quant à l’entrée par l’auditorat, il faut nous garder d’une multiplication des voies d’accès qui brouillerait le dispositif d’ensemble.

En revanche, en ce qui concerne les maîtres des requêtes en service exceptionnel (MRSE), je sais que vous échangez avec le secrétariat général dans le cadre du dialogue social et c’est une perspective qu’il est bon d’explorer afin de déterminer les modalités qui seraient les plus adaptées à l’accueil de magistrats souhaitant notamment faire l’expérience de la cassation.

En 2021, portés par l’USMA, les sujets de la robe et prestation de serment ont fait l’objet d’un débat important en CSTA. Le conseil s’est prononcé contre la robe et en faveur de la prestation de serment et a décidé la mise en place d’un groupe de travail sur la solennité. Quelles sont vos positions sur ces sujets ?

A partir du moment où le CSTA vient de se prononcer, je ne souhaite pas vous indiquer mon opinion personnelle sur la question de la robe. Je souhaite en revanche insister sur le fait que nous devons avoir une juste conscience de ce qu’est l’autorité de la justice, l’office du juge administratif et sa place dans notre Etat de droit. Cette autorité peut se décréter mais elle doit aussi se démontrer. Il faut bien juger, ce qui est le cas des juridictions administratives, puis ensuite savoir bien expliquer nos décisions à nos concitoyens, pour éviter les contre-sens et les malentendus. Il faut aussi créer toutes les opportunités pour organiser des moments, des événements qui permettent de mieux comprendre ce que nous sommes et ce que nous faisons.

L’open data va accroître notre visibilité et l’accessibilité à nos décisions. C’est une bonne chose, mais nous devons veiller bien sûr à ce que des dérives de la nature de celles que prohibe déjà l’article L. 10 du CJA n’apparaissent pas [1].

Sur la solennité, il y a de nombreuses choses à faire, et je ne doute pas que le rapport du groupe de travail animé par le Président Olson sera riche. L’agencement des salles d’audience est important, car le lieu où se rend la justice n’est pas un lieu ordinaire, et je trouve très intéressante l’existence de rentrées solennelles. Je participerai très prochainement à l’une d’entre elles. Le moment de l’installation d’un nouveau collègue est aussi un moment fort, pour elle ou pour lui, mais aussi pour la collectivité que nous formons. Je garde pour ma part un vif souvenir de ma première installation au Conseil d’Etat.

Les juridictions administratives croulent sous le contentieux des étrangers. En l’absence d’une mise en œuvre rapide du rapport Stahl, quelles sont les pistes à explorer ? Une simplification de la rédaction des jugements ?

La situation est en effet préoccupante. Le groupe de travail animé par le Président Stahl a exploré les pistes possibles et a proposé des solutions opérationnelles, notamment pour simplifier les procédures sans changer le fond du droit. Malheureusement ces préconisations n’ont pas pu encore être traduites dans la loi. Il faudra remettre l’ouvrage sur le métier car tout le monde gagnerait à simplifier les choses, y compris les requérants et l’administration.

S’agissant de la rédaction des jugements, arrêts et décisions, et au-delà du contentieux des étrangers, nous avons gagné en clarté depuis de nombreuses années. Nos motivations sont plus développées qu’à une époque plus ancienne, et je trouve que nous avons globalement atteint un assez bon équilibre, entre la décision trop elliptique et la décision trop touffue. La motivation doit être suffisante, juste suffisante. Mais nous devons aussi réfléchir à rendre plus compréhensibles certaines de nos formulations.

Il existe des contentieux qui se complexifient tel que le contentieux de l’urbanisme. Une simplification est-elle possible ?

Les règles juridiques sont-elles mêmes complexes mais nous devons néanmoins explorer les simplifications possibles. Prochainement par exemple la section du contentieux se prononcera sur l’unification ou non des critères régissant les permis modificatifs et les mesures de régularisation.

Les collègues ont noté une augmentation très forte des procédures de référé qui a tendance à changer la nature du travail du juge. Quelles solutions peuvent être apportées ?

Il faut attendre la sortie définitive de la crise sanitaire pour évaluer l’impact qu’aura sur le nombre de référés la visibilité accrue qu’a donné à ces procédures la période récente. Mais nous devons nous féliciter de ce que ces voies de recours, qui ont vingt ans, sont reconnues par les citoyens comme des procédures efficaces. S’agissant de la procédure elle-même, nous avons pu pendant les périodes les plus difficiles de la crise instruire des référés sans tenir d’audience. Certains proposent que cette faculté soit pérennisée. On peut y réfléchir, mais nous devons veiller à préserver ce que le référé a de précieux : un débat oral contradictoire entre les parties, utile pour bien sérier les problèmes et parfois aussi pour rapprocher les points de vue. 

Quels sont vos objectifs et priorités en tant que président de la section du contentieux ?

Après de longs mois de crise sanitaire, nous revenons progressivement à la normalité. Notre premier objectif est de faire face à l’augmentation du nombre de requêtes, qui est très marqué, car les justiciables attendent légitimement que la justice administrative soit rapide. Pendant la crise sanitaire, l’engagement de tous a permis que la situation ne se dégrade pas ; que tous en soient remerciés. Nous devons nous féliciter que notre passage au numérique nous ait permis de passer la crise sans rupture de charge. Nous devons poursuivre dans cette voie, notamment parce que des gains de productivité peuvent encore être faits grâce au numérique.

Bien sûr, les évolutions de la jurisprudence sont un élément essentiel de notre travail. Ces évolutions doivent se faire en recherchant toujours à réduire les complexités. C’est ainsi que nous aurons à poursuivre et unifier le mouvement entamé sur le contrôle dynamique en excès de pouvoir.

Nous devons veiller aussi à renouveler nos procédures. C’est ainsi que les deux formules d’instruction orale qui sont actuellement expérimentées au Conseil d’Etat apparaissent prometteuses.

Je souhaite également comme je vous l’ai indiqué approfondir les relations avec les juges du fond.

Le renforcement du dialogue des juges est bien entendu un chantier à poursuivre, de même que le redéploiement des relations avec le monde universitaire.

Enfin, la prochaine édition des Entretiens du contentieux, le 29 octobre, aura pour thème : Etre accessible, utile et compris : l’efficacité du juge administratif. Je pense que nous pourrons en tirer des enseignements intéressants pour l’avenir de la juridiction administrative.

[1] voir ici pour un point complet sur la position de l’USMA sur le sujet