Dualité de juridictions : la réponse de l’USMA

Le récent plaidoyer du Premier Président de la Cour de Cassation en faveur de l’unité de juridiction, laquelle passerait par la disparition des juridictions administratives, ne peut que susciter des interrogations.

L’USMA rejoint cette analyse sur les prémisses, mais récuse catégoriquement les conclusions de cette tribune :

sur les prémisses : c’est à juste titre que l’efficacité, l’indépendance et l’engagement des juges administratifs au service de la préservation des libertés fondamentales sont soulignés. C’est aussi à juste titre que l’on remarque que le législateur n’hésite plus à confier aux juridictions de l’ordre administratif le traitement de contentieux délicats, y compris dans l’urgence.

Ces analyses sont à l’origine même de l‘union syndicale des magistrats administratifs, qui a été créé pour défendre l’idée que nous sommes des magistrats, au même titre que les magistrats judiciaires, en raison non seulement des enjeux contenus dans nos décisions, mais aussi de notre capacité à en juger en toute impartialité, avec la garantie d’un travail juridictionnel de qualité reconnu par tous, et ceci dans des délais toujours plus brefs.

-en revanche, nous ne pensons pas que ce succès implique la disparition de l’ordre administratif :

En premier lieu, parce qu’il est trop réducteur de considérer que les juridictions administratives ne connaissent que des contentieux impliquant l’Etat. De nombreuses autres structures, publiques (collectivités territoriales, établissements publics) ou privées (associations, entreprises) relèvent de notre juridiction.

En deuxième lieu, parce que la compétence de l’ordre juridictionnel administratif n’est pas justifiée par la qualité des parties en présence, mais par des critères matériels et fonctionnels, comme la nature des missions prises en charge et les prérogatives de puissance publique mises en œuvre. Sauf à nier la spécificité des notions de service public, d’intérêt général, ou encore d’ordre public, on ne saurait passer sous silence le poids particulier des missions dont nous avons à juger, lesquelles impliquent un régime juridique particulier.

En troisième lieu, parce que ces règles juridiques particulières dictent une procédure tout aussi spécifique, qui ne peut pas reposer sur les principes qui animent la procédure judiciaire : le principe d’égalité des armes serait-il respecté si le juge administratif, à l’instar du juge judiciaire, mettait en œuvre une procédure accusatoire, laissant le particulier dans la même situation que l’administration, sans prendre de mesures destinées à nourrir le débat ?

En quatrième lieu, parce que le procès administratif, au contraire du procès judiciaire, ne peut pas être analysé comme le lieu de conciliation de droits subjectifs : l’intérêt général n’est pas comparables aux intérêts particuliers, il est d’une nature différente, et ne saurait par conséquent être simplement mis en balance avec ceux-ci.

Enfin, parce qu’il serait bien plus complexe de confier à un ordre de juridiction unique un contentieux, un droit et une procédure aussi spécifiques, que de déterminer, dans quelques situations rendues de plus en plus rares par la jurisprudence éclairante du Tribunal des Conflits, l’ordre de juridiction compétent. Nombre de pays (sinon tous !) qui ont opté pour un ordre de juridiction unique sont amenés à mettre en place, au sein des juridictions, des chambres spécialisées dans le traitement du contentieux administratif, instaurant ainsi en pratique une véritable dualité à l’intérieur même de leurs juridictions.

La riche et dynamique jurisprudence administrative française ne saurait être réduite au fruit d’un travail corporatiste. Elle ne se construit pas contre le juge judiciaire, mais avec lui

Elle est le produit de deux siècles d’une tenace consolidation de l’État de Droit, reconnue par le Conseil Constitutionnel, qui, ainsi que cela a été souligné, a consacré le juge administratif comme gardien des libertés fondamentales.

Elle implique donc, non pas la disparition de l’ordre juridictionnel administratif et des avancées qu’il a portées, mais son renforcement : elle implique la proclamation d’un statut constitutionnel du juge administratif, sur le modèle de celui dont bénéficie son homologue judiciaire, afin que son indépendance et son impartialité soient durablement préservées des aléas des alternances politiques. Elle implique également une poursuite des efforts en termes de moyens matériels et de formation consentis aux juridictions administratives.

Les magistrats administratifs, qui assument leurs missions avec responsabilité et mesure, particulièrement dans le contexte troublé que nous connaissons et qui a conduit à renforcer les pouvoirs de police, continueront de participer fièrement à la défense de L’État de Droit, dans toutes ses composantes.

Chrystelle Schaegis, SGA de l’USMA